Tâche d'écoute pour élèves d'âges différents dans le cadre d'un examen en classe
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Quand le travail change, la formation doit suivre

07.09.2025
par SMA
Jackie Vorpe, Responsable de la politique de formation, Travail.Suisse

Jackie Vorpe
Responsable de la politique de formation, Travail.Suisse

Que représente aujourd’hui le travail dans nos vies ? Une source de revenu, certes, mais aussi de développement. Dans un monde du travail de plus en plus fragmenté, les attentes envers les employé·e·s évoluent rapidement. Face à ces mutations, la formation et la formation continue deviennent un facteur clé d’adaptation et d’épanouissement. Souvent cantonnée à un rôle utilitaire, la formation professionnelle offre un potentiel considérable : accompagner les transitions, répondre aux pénuries de main-d’œuvre, ouvrir des voies d’avenir à la génération Z.

Métamorphose du travail : nouvelles compétences et instabilité des emplois
La stabilité de l’emploi, autrefois vecteur d’ascension sociale, tend désormais à reculer. Nous assistons à la disparition des métiers stables au profit des jobs instables. Selon le Forum économique mondial, 78 millions de nouveaux emplois pourraient émerger d’ici 2030 : Vérificateur médias, Développeur de potentiel, Médiatrice de génération. Ces chiffres sont porteurs d’une double réalité : le potentiel de création, mais aussi le risque d’exclusion pour celles et ceux qui ne disposent pas des compétences attendues pour le futur du travail.

Dans cette reconfiguration permanente, certains métiers connaissent une forme de revanche : ni le boulanger, ni le carreleur ne craignent (encore) la concurrence d’un chatbot. Ces métiers dits « de terrain » font preuve de résilience, mais ils continuent d’être sous-valorisés dans notre imaginaire collectif. À l’inverse, les professions tertiaires restent hautement valorisées, mais pourraient se fragiliser avec le tournant numérique. La Suisse, autrefois pays de main-d’œuvre qualifiée, subit la pression à la tertiarisation : l’Office fédéral de la statistique prévoit que plus de 55 % de la population active détiendra un diplôme du degré tertiaire d’ici 2040.

Face aux mutations rapides du monde du travail, la formation continue poursuit plusieurs finalités. – Jackie Vorpe, Responsable de la politique de formation, Travail.Suisse

La génération Z, un travail en quête de sens

Les jeunes actifs nés entre 1997 et 2012 représentent aujourd’hui 15% de la population suisse. Leur rapport au travail et leurs attentes sociétales sont profondément influencés par un environnement marqué par les crises et l’incertitude. Digital natives par excellence, ils attendent des canaux de communication directs, un retour rapide à leurs initiatives et de la reconnaissance.
La Gen Z attend plus qu’un emploi : elle veut une perspective, un engagement mutuel, un sens. De telles attentes s’alignent avec les compétences dites du futur : résilience, pensée analytique, créativité, agilité. Ces savoirs ne s’acquièrent pas seulement dans les hautes écoles, mais aussi sur le terrain, particulièrement dans la formation professionnelle.

Mieux accompagner et stimuler les jeunes

On encourage souvent les jeunes d’aujourd’hui à avoir plus de grit – de la niaque en bon français. Or les jeunes doivent pouvoir recevoir de l’écoute et bénéficier de conditions de travail saines. La santé mentale des jeunes en formation demeure une zone d’ombre du système. Les responsables de formation doivent être sensibilisés, formés et soutenus dans leur rôle.

De même, la question des vacances des apprentis mérite une approche novatrice : pourquoi ne pas introduire un système dégressif, adapté aux périodes de transition ? Par ailleurs, actuellement seuls 2 % des apprentis participent à des échanges interrégionaux ou internationaux. La mobilité reste encore trop limitée, alors que des initiatives telles que swype (swiss young professional exchange) – un projet de Travail.Suisse pour renforcer l’attractivité de la formation professionnelle – assurent le développement personnel, les compétences linguistiques et l’ouverture culturelle.

Pour mieux stimuler et accompagner les jeunes, il faut aussi s’appuyer sur les leviers existants : la promotion des talents via les SwissSkills, ou les dispositifs d’insertion comme le projet LIFT pour les jeunes présentant des difficultés.
De telles mesures doivent s’inscrire dans une stratégie ambitieuse de valorisation de la formation professionnelle : assurer la qualité de la formation en entreprise en investissant dans la formation continue des formateurs, améliorer la reconnaissance des diplômes étrangers, promouvoir la formation professionnelle supérieure – en introduisant les suppléments de titre Professional Bachelor et Professional Master, qui permettent un meilleur positionnement à l’échelle internationale.

La formation continue, clé de voûte du changement

Face aux mutations rapides du monde du travail, la formation continue poursuit plusieurs finalités : accompagner les mutations du marché du travail, prévenir l’exclusion et le chômage structurel. Elle favorise l’employabilité durable, les reconversions, les retours à l’emploi et l’adaptation aux nouvelles technologies.
Par ailleurs, la formation continue renforce l’épanouissement personnel, alors que les formes de satisfaction au travail évoluent. À côté de la satisfaction traditionnelle émergent des formes ambivalentes comme la satisfaction résignée ou l’insatisfaction constructive. Les responsables RH doivent apprendre à décoder ces signaux et y apporter des réponses. Dans un monde où « plus la vie est facile, plus les difficultés qui restent nous semblent insurmontables » – Olivier Babeau, L’ère de la flemme (2025) – il devient essentiel de redonner du sens à l’effort, en particulier dans les trajectoires de reconversion. Dans ce contexte, l’orientation professionnelle et la formation continue deviennent des piliers de sécurisation des parcours à chaque tournant de la vie active.

Quand l’effort ne suffit plus : l’enjeu des inégalités

Si l’effort individuel est une condition nécessaire à l’intégration professionnelle, il n’est pas toujours suffisant. En Suisse, les inégalités d’accès à la formation continue sont massives. Selon l’OFS (2025), seuls 16.4 % des adultes sans diplôme post-obligatoire y participent, contre 61.7 % des titulaires d’un diplôme universitaire – soit quatre fois plus. Ces écarts d’accès à la formation sapent la confiance dans l’ascension sociale. C’est le paradoxe de Tocqueville : plus les inégalités diminuent, plus celles qui subsistent deviennent intolérables. Assurer le développement des compétences de base (littératie, numératie, littératie numérique) est un devoir citoyen.

L’effort de formation est aux mains de l’individu, mais aussi des pouvoirs publics et des milieux économiques. Dans une économie fondée sur la compétence, la formation (continue) ne peut pas rester un privilège. La formation professionnelle doit bénéficier de moyens à la hauteur de son potentiel. L’avenir du travail repose autant sur la motivation de chacun que sur notre capacité collective à garantir une formation pour toutes et tous.

Texte Jackie Vorpe, Responsable de la politique de formation, Travail.Suisse

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