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L’intelligence artificielle, alliée ou défi pour le monde juridique ?

07.01.2025
par Océane Ilunga

L’intelligence artificielle n’est plus une simple tendance technologique ; elle révolutionne déjà le monde juridique. Là où l’exactitude et l’analyse sont essentielles, les avocats voient leurs méthodes évoluer. Fort d’un parcours riche, d’un Master en droit de l’Université de Fribourg et d’un CAS en droit du sport, Me Xavier Diserens, membre de l’Ordre des avocats vaudois, se forme désormais à l’IA appliquée au droit. Il livre son regard sur les opportunités et défis que représente cette technologie pour le métier d’avocat.

Me Xavier Diserens,Associé de l’étude Burysek & Diserens Avocats

Me Xavier Diserens
Associé de l’étude Burysek & Diserens Avocats

Me Xavier Diserens, l’intelligence artificielle semble toucher de nombreux domaines aujourd’hui. En quoi l’IA concerne-t-elle aussi le monde juridique et le métier d’avocat ?

L’intelligence artificielle générative touche aujourd’hui tous les domaines, y compris le secteur juridique. Dans le métier d’avocat, l’IA offre des possibilités concrètes pour gagner en productivité et en qualité. Par exemple, elle facilite les traductions automatiques et permet des analyses de données complexes, comme générer des résumés à partir d’une grande quantité d’informations.
L’IA peut également assister dans les recherches juridiques, même si, en Suisse, ces outils ne sont pas encore pleinement adaptés. En effet, les modèles actuels sont souvent influencés par les systèmes juridiques anglo-saxons, très différents du droit européen. Toutefois, au vu de la rapidité des avancées technologiques, il est probable que l’IA devienne bientôt un outil performant pour la recherche juridique. Pour l’instant, un contrôle humain reste indispensable afin de valider les résultats fournis par la machine.

L’IA peut également être utilisée dans la génération de textes, comme pour la révision de contrats, la rédaction de procès-verbaux structurés ou encore la préparation de listes de questions déstinées aux témoins/clients. Ces applications permettent de simplifier et d’accélérer certaines tâches juridiques, à condition de maîtriser le sujet pour vérifier et ajuster les réponses générées par l’IA.

Vous parliez de certains avocats qui utilisent l’IA pour rédiger leurs plaidoiries. Que pensez-vous de cette pratique ? N’y a-t-il pas un risque de nuire à la créativité juridique ?

C’est effectivement l’une des limites majeures de l’intelligence artificielle. Son utilisation pourrait entraîner un appauvrissement du droit. Il faut rappeler que le droit repose sur quatre sources principales pour trouver des informations et des solutions juridiques : la loi, la doctrine (les ouvrages juridiques), la jurisprudence (les décisions de justice) et, en Suisse, la coutume, qui est reconnue par le Code Civil, même si elle est peu utilisée.

Le rôle des avocats et juristes consiste à jongler entre ces trois premières sources pour formuler des solutions adaptées. Le risque avec l’IA est de voir la doctrine se raréfier. Si de moins en moins d’avocats, de juges ou de magistrats prennent le temps de rédiger des ouvrages juridiques, au profit d’une recherche automatisée par IA, cela pourrait conduire à une homogénéisation du droit. De même, la jurisprudence pourrait également s’appauvrir si les décisions de justice deviennent trop standardisées. En conséquence, on pourrait se retrouver avec une justice « circulaire » où les mêmes réponses seraient appliquées systématiquement, sans nuance ni créativité.

Quelles mesures sont mises en place pour limiter ce risque ?

À ce jour, il existe peu de régulation formelle concernant l’IA dans le domaine juridique en Suisse. La Fédération Suisse des Avocats (FSA) a émis des lignes directrices, mais aucune législation spécifique n’est en place. L’IA Act vise principalement les États et les développeurs de ces technologies, sans caractère contraignant pour les utilisateurs finaux.

Les recommandations de la FSA rappellent l’importance du secret professionnel : il est essentiel d’anonymiser les informations confidentielles avant de les intégrer dans un système d’IA. Par souci de transparence, j’ai prévu d’ajouter une clause dans mes procurations pour informer les clients de l’usage potentiel de l’IA et obtenir leur consentement explicite. Cela garantit une totale transparence et leur permet de décider en connaissance de cause.

Quels sont, selon vous, les principaux domaines du droit où l’IA peut apporter une réelle valeur ajoutée ?

Tous les domaines du droit peuvent bénéficier de l’intelligence artificielle, notamment lorsqu’il s’agit de réduire les coûts, d’augmenter la productivité et de gagner du temps. Par exemple, en droit matrimonial, l’IA pourrait faciliter des calculs de contribution d’entretien de manière extrêmement précise et rapide. Dans le domaine judiciaire et contractuel, l’IA présente également des avantages significatifs.

Un des grands enjeux est celui de la justice prédictive. Grâce à l’IA, il serait possible de prédire le résultat d’une décision de justice en fonction des données disponibles. Une fois la machine correctement entraînée, elle pourrait indiquer qu’avec tel juge, il y a un certain pourcentage de chances que l’affaire soit tranchée d’une manière plutôt que d’une autre, ou que devant telle autorité, les décisions tendent à suivre une tendance spécifique.

L’IA pourrait aussi permettre d’évaluer les chances de succès d’une affaire. Cela serait très utile tant pour l’avocat que pour le client : si les chances de succès sont élevées, on peut décider d’aller en justice ; si elles sont faibles, il serait plus judicieux de chercher un accord à l’amiable. Enfin, cette technologie pourrait également permettre d’estimer plus précisément les coûts liés à une procédure.

Comment les avocats peuvent-ils encadrer légalement l’utilisation de l’IA dans les entreprises pour éviter les dérives ?

Pour encadrer l’utilisation de l’IA, il est essentiel que les avocats s’assurent que leurs clients comprennent parfaitement le fonctionnement des systèmes d’IA qu’ils utilisent. Cela passe par une formation adéquate et une vigilance constante quant à la fiabilité des résultats, en raison des risques élevés d’« hallucinations » de l’IA. Examiner minutieusement les conditions générales des outils est également crucial, notamment pour évaluer les aspects liés à la protection des données et à la confidentialité. Il est important de déterminer si les informations sont stockées localement ou sur des serveurs externes, et si ces données sont utilisées pour entraîner les modèles d’IA. Enfin, l’anonymisation des données est une étape fondamentale pour préserver la confidentialité. Heureusement, il existe des outils spécifiques pour anonymiser les documents avant de les intégrer dans des systèmes d’IA.

Plus d’informations sur www.etude-avocat.com

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