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Mon travail extraordinaire

Entretien avec un psychiatre légiste

14.07.2022
par Akvile Arlauskaite

«On ne vient pas au monde en tant que grand criminel», constate le professeur Marc Graf après plus de 500 expertises pénales réalisées. Le psychiatre médico-légal, professeur, directeur et responsable de la clinique de médecine légale de l’UPK Bâle, nous parle des défis et des bons côtés de son métier.

Prof. Dr. med. Marc Graf
Psychiatre légal, professeur, directeur et chef de la clinique de médecine légale de l’UPK Bâle

Marc Graf, quand avez-vous commencé à vous intéresser à la psychiatrie?

J’ai toujours voulu devenir psychiatre. J’ai grandi à proximité d’un hôpital psychiatrique où les patients étaient complètement enfermés – c’était dans les années 70. Cela m’a mis mal à l’aise et j’ai commencé à m’intéresser aux raisons pour lesquelles ces personnes sont ce qu’elles sont. En outre, j’avais déjà l’impression, lorsque j’étais enfant, que nous, les humains, n’étions pas très compétents les uns avec les autres et que notre misère se trouvait dans les petites choses. Je voulais en savoir plus à ce sujet et j’étais donc fasciné non seulement par la psychiatrie, mais aussi par la médecine.

Vous avez donc décidé de faire des études de médecine, mais vous vous êtes ensuite dirigé vers la chirurgie avant de passer à la psychiatrie légale. Pourquoi cela?

Pendant les études de médecine, les cours de psychiatrie étaient catastrophiques. Les enseignants utilisaient des clichés négatifs et présentaient les patients comme des animaux sauvages. Cela m’a découragé et j’ai décidé d’aller en chirurgie en tant qu’interne. Bien que cette discipline me fascinait énormément et que j’y ai beaucoup appris, j’ai rapidement constaté que l’aspect humain n’était pas assez pris en compte. Peu avant d’obtenir mon titre de spécialiste, je suis donc passé à la psychiatrie médico-légale.

Que font les psychiatres forensiques dans leur travail quotidien?

Il y a différents domaines d’activité en psychiatrie médico-légale. L’un d’entre eux est l’expertise. Dans le cadre d’une infraction, on étudie de nombreux dossiers – expertises, rapports de thérapie, déclarations de témoins et de victimes – ainsi que la littérature spécialisée et on examine pendant plusieurs jours une personne accusée en prison. Ensuite, on présente dans un rapport écrit les éventuels diagnostics, on évalue les risques et on donne des recommandations pour les mesures à prendre. On peut ensuite être convoqué au tribunal en tant que témoin expert. Les personnes qui travaillent en plus ou exclusivement dans le domaine du traitement organisent des séances de thérapie avec leurs patients, soit dans une clinique, soit en prison.

Il est essentiel de se concentrer sur le cœur de la personne.

Quelles compétences les psychiatres légistes doivent-ils absolument posséder?

Il est très important d’avoir une pensée structurée et un programme professionnel – il faut toujours suivre la méthodologie et les normes thérapeutiques appropriées. En outre, il faut être en mesure de s’adapter au mode de pensée très différent du droit, de manière à pouvoir répondre aux questions des praticiens du droit de façon compréhensible pour eux. Il est également très important de bien comprendre son rôle. Les psychiatres légistes sont des assistants du tribunal qui mettent leurs connaissances à disposition, mais qui ne rendent pas de jugement.

Les psychiatres légistes travaillent avec des personnes qui ont commis des crimes graves et répréhensibles par la société. Quels sont vos sentiments à ce sujet?

Il peut être difficile de faire face à de tels actes. Face à des personnes psychopathes ou autrement désagréables, un malaise peut survenir. Il m’est arrivé de ne plus me sentir en sécurité et de ressentir de la peur. En revanche, je n’ai jamais ressenti de dégoût. Je ne peux pas imaginer qu’une personne me dégoûte.

Comment gérez-vous ces sensations négatives?

Il est important de bien analyser ces sentiments, d’y réfléchir, puis de les gérer. Il est essentiel de se concentrer sur le cœur de la personne: Quel genre de personne est-elle et pourquoi a-t-elle agi ainsi? On ne naît pas sadique et pédophile. Concrètement, il faut s’efforcer de développer des hypothèses et d’identifier les facteurs personnels et situationnels qui ont conduit à l’acte, plutôt que d’essayer d’expliquer le monde de manière faustienne.

Craignez-vous le jour où une personne dont vous avez approuvé le renvoi commettra à nouveau un acte grave? Ou qu’une personne que vous avez évaluée positivement récidive?

Bien sûr, oui.

Comment gérez-vous cela?

En sachant que, de manière générale, en médecine, nous ne devons pas la guérison aux patients, mais au meilleur traitement possible selon les normes actuelles. Il en va de même pour l’expertise. Si l’on s’en tient aux directives et aux normes dans le cadre de son travail et que l’on agit en toute conscience, il n’y a pas d’erreur de la part du psychiatre, même si quelqu’un commet à nouveau un délit malgré un pronostic favorable.

Les psychiatres légistes doivent aider les patients à mieux se comprendre eux-mêmes.

Quels autres défis les personnes travaillant dans ce domaine rencontrent-elles dans leur vie quotidienne?

Il s’agit en premier lieu de l’aspect humain. Nous devons nous mettre à la place de la personne – également sur le plan émotionnel – pour pouvoir comprendre ce qu’elle a fait et pourquoi. Cela peut nous toucher de très près. Il est donc important de fixer des limites et de se sentir bien mentalement.

Des pressions supplémentaires peuvent résulter de la menace sur sa propre intégrité, par exemple des agressions de la part de patients, mais aussi des menaces de la part de proches ou de l’exposition dans les médias. En outre, de nombreux psychiatres médico-légaux ont fait l’expérience douloureuse de plaintes pénales répétées. Moi aussi, j’ai déjà dû répondre de mes actes devant un tribunal, car j’étais accusé d’avoir réalisé une fausse expertise.

Vous évoquez l’importance de l’hygiène mentale. Dans ce sens, que faut-il pour pouvoir gérer la charge psychique au travail?

Plusieurs facteurs sont déterminants à cet égard. Premièrement, un bon bagage professionnel. Plus on comprend quelque chose et plus on peut l’expliquer de manière professionnelle, moins cela paraît confus et menaçant. Dans ce sens, les possibilités de supervision et d’intervision sont également décisives. En outre, il est important d’avoir un bon sens de l’interdisciplinarité afin de pouvoir coopérer avec tous les groupes professionnels qui sont plus proches des patients et qui les comprennent mieux d’une certaine manière.

Deuxièmement, il faut être bien ancré dans la normalité et le travail, comme tout autre, ne doit pas représenter 90% de la vie.

Troisièmement, il faut avoir certains traits de personnalité. Il faut de l’autoréflexion et de la modestie, un certain équilibre et de la robustesse, mais aussi de l’empathie et un intérêt authentique pour l’autre personne.

Si l’on s’intéresse aux gens, la psychiatrie médico-légale est l’une des activités les plus passionnantes que l’on puisse exercer.

Quels sont les aspects qui vous semblent particulièrement importants dans vos relations avec les patients?

Qu’une expertise soit en fin de compte une expérience positive pour la personne. Les psychiatres légistes doivent aider les patients à mieux se comprendre eux-mêmes. Une approche sincère, authentique et intéressée plutôt que moralisatrice ou arrogante les aide à se développer personnellement, ce qui est l’objectif principal de la psychiatrie et de la psychothérapie.

Qu’est-ce qui vous fascine dans votre travail de psychiatre légiste?

Je vais avoir 60 ans cette année et je peux dire que j’aime toujours extrêmement mon métier. Si l’on s’intéresse aux gens, la psychiatrie médico-légale est l’une des activités les plus passionnantes que l’on puisse exercer. Elle offre en effet l’opportunité unique de connaître une autre personne en profondeur et en peu de temps. On se trouve alors à l’interface entre l’être humain et les connaissances psychiatriques, psychologiques et neuroscientifiques modernes.

En outre, il s’agit d’une activité à haute responsabilité, mais aussi efficace et pleine de sens. En réalisant des expertises, on contribue à élucider des délits et à en prévenir d’autres. Et par le traitement, on aide une partie des délinquants à se réinsérer dans la société et à identifier ceux qui représentent un trop grand risque pour la société et qui devraient être internés. En ce sens, les psychiatres légistes contribuent à réduire le nombre de victimes à l’avenir.

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