Inspiration

La formation suisse en droit : entre défis et opportunités

15.07.2022
par Andrea Tarantini

Selon l’Office fédéral de la statistique suisse, 16 788 étudiants foulent les bancs des facultés de droit pour l’année académique 2021-2022. Quels enjeux recouvrent la formation dans le secteur du droit en Suisse ? Quels défis les étudiants rencontrent-ils ?

 

Manon Schneider
Étudiante et présidente de l’ANED

Sylvain Marchand
Professeur ordinaire de droit à l’UNIGE et avocat

 

Bénédict Foëx
Doyen de la Faculté de droit de l’UNIGE

 

Olivier Hari
Doyen de la Faculté de droit de Neuchâtel et avocat

Vincent Martenet
Doyen de la Faculté de droit, des sciences criminelles
et d’administration publique de l’UNIL


«
Absolument tout mène au droit ! » déclare Manon Schneider, étudiante en Master à la faculté de droit de l’Université de Neuchâtel.

Également présidente de l’Association Neuchâteloise des Étudiants en Droit (ANED), elle a décidé de s’orienter dans le droit car ce domaine mêle selon elle la volonté de comprendre le fonctionnement de la société et le contact humain.

Gage de qualité, la formation en droit en Suisse attire de nombreux étudiants.

Une formation qualitative qui s’adresse à tous

La formation juridique en Suisse est un réel tremplin pour tout étudiant qui souhaite faire carrière dans ce domaine. Elle permet en effet de développer des capacités de raisonnement mais aussi des aptitudes à la rédaction, à la négociation et à l’argumentation.

Partie essentielle de l’apprentissage en droit, la formation permet aussi d’acquérir des bases juridiques solides pour interpréter les lois et les appliquer. En ce sens, Vincent Martenet, Doyen de la Faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique de l’Université de Lausanne, explique : « Il faut aussi faire preuve de curiosité intellectuelle pour déterminer les règles qui s’appliquent à un cas concret et se rendre compte que plusieurs branches du droit peuvent régir une même situation ».

« Le droit suisse a la réputation d’être libéral, relativement simple dans ses expressions et de qualité dans sa prévisibilité».

Sylvain Marchand, professeur ordinaire de droit à l’Université de Genève et avocat, souligne l’importance de la place juridique suisse, que ce soit dans le domaine de l’arbitrage, du droit des affaires, du droit humanitaire ou encore des organisations internationales : « Le droit suisse a la réputation d’être libéral, relativement simple dans ses expressions et de qualité dans sa prévisibilité ». 

Le début de la formation en droit en Suisse ne nécessite pas de prérequis pour les jeunes qui souhaitent se lancer. Olivier Hari, Doyen de la Faculté de droit de Neuchâtel et avocat, indique en effet : « Tout le monde peut faire du droit.

Littéraires ou scientifiques, les étudiants sont amenés à développer un esprit analytique et un raisonnement particulier, logique et déductif, le syllogisme ». Dans les études de droit, le Bachelor constitue un socle commun qui permet ensuite d’obtenir les connaissances nécessaires pour entrer en Master et se spécialiser dans une branche particulière.

Des cursus variés

Si l’avocature reste une voie privilégiée par beaucoup d’étudiants, d’autres spécialisations sont aussi très prisées, que ce soit en droit des affaires, de la santé, du sport, en droit international ou encore en droit pénal.

Un des plus grands avantages de la formation en droit suisse est qu’elle est variée et mène à des métiers très différents. Manon Schneider indique en effet : « Bien que l’avocature soit la voie que j’ai choisie, ce n’est pas la seule et unique voie possible et j’insiste là-dessus!  ».

Il est par exemple possible pour les étudiants de s’orienter vers des postes de juristes au sein d’entreprises, de banques ou d’administrations par exemple, vers le droit du patrimoine, du numérique ou encore vers la fiscalité. L’étudiante ajoute : « Les possibilités sont infinies car les études de droit nous apportent de bonnes bases, de la structure et une grande capacité d’adaptation ». 

« On peut toujours ajouter de nouvelles matières dans nos offres de cours, mais l’essentiel, à savoir le raisonnement juridique, reste à mon avis intemporel ».

 Avec le temps, les cursus sont adaptés et de nouveaux sont introduits en fonction de l’évolution de la société. L’Université de Lausanne proposera par exemple dès septembre prochain une nouvelle mention en droit de l’environnement et du climat dans le cadre de son Master en Droit. De la même manière, des spécialités apparaissent avec une approche plus interdisciplinaire qui vise à donner aux étudiants une plus grande ouverture d’esprit.

À Genève par exemple, les étudiants du Global Studies Institute rejoignent la Faculté de droit, tandis qu’à l’Université de Neuchâtel, le Master interfacultaire en innovation permet aux étudiants qui n’ont pas un bagage numérique d’acquérir des connaissances en matière d’innovation sous différents angles : juridique, économique ou encore sociologique. 

À Lausanne, le master en droit des professions judiciaires et celui en droit, criminalité et sécurité des technologies de l’information s’inscrivent dans une perspective résolument interdisciplinaire.

Toutefois, la base juridique reste primordiale comme le précise Sylvain Marchand : « On peut toujours ajouter de nouvelles matières dans nos offres de cours, mais l’essentiel, à savoir le raisonnement juridique, reste à mon avis intemporel ».

L’importance de l’expérience dans la formation 

Si l’enseignement théorique est essentiel en droit, la pratique l’est tout autant. Travailler sur des cas pratiques et faire des stages est en effet une partie importante de la formation. Pour Manon Schneider, « plus les étudiants se donnent les moyens d’avoir des expériences pratiques, meilleurs ils deviendront ». Olivier Hari indique quant à lui : « Comme un bon vin, le juriste se bonifie avec le temps ». 

 Les qualités d’un bon juriste s’acquièrent donc avec l’expérience, d’autant plus que le droit est un secteur en constante évolution. Pour cette raison, Olivier Hari met en évidence l’importance de la formation continue dans le secteur du droit : « La formation continue permet aux personnes absorbées par le marché du travail de se remettre à niveau et de réapprendre les procédures devant les tribunaux». 

Les difficultés que peuvent rencontrer les étudiants

Par ses impératifs de rigueur et de précision, la formation en droit est exigeante. Manon Schneider indique qu’une des principales difficultés pour les étudiants est de s’adapter au rythme universitaire.

L’étudiante soulève également la difficulté pour
les étudiants de se positionner par rapport aux attentes du marché du travail : « Il y a actuellement beaucoup de postes de juristes occupés par des avocats alors même que le brevet d’avocats n’est pas nécessaire pour effectuer le travail demandé.

« Pratiquer le droit, c’est avant tout chercher et trouver des solutions ».

Une personne qui n’a aucune envie d’exercer en tant qu’avocat ne devrait pas avoir à passer le brevet et devrait être fière d’être juriste ! » Vincent Martenet souligne quant à lui l’importance pour les étudiants d’avoir des bases solides : « celles-ci leur donnent la capacité de faire face aux changements juridiques ».

Autre difficulté qui peut causer du tort à beaucoup d’étudiants: la somme d’informations à laquelle ils sont soumis pendant leurs études. C’est pourquoi Sylvain Marchand tient à souligner l’importance de l’esprit de synthèse, qualité nécessaire selon lui pour ne pas se sentir submergés et réussir à hiérarchiser les informations.

Cela est essentiel car, comme l’indique Bénédict Foëx, Doyen de la Faculté de droit de l’Université de Genève : « Pratiquer le droit, c’est avant tout chercher et trouver des solutions ».

Une formation en mutation

Ces dernières années, certaines missions des juristes ont été automatisées et le développement de l’intelligence artificielle «oblige les juristes à offrir une réelle valeur ajoutée par rapport à cette évolution technologique» selon les mots de Vincent Martenet.

De la même manière, «la blockchain, la gestion des données ou encore le métaverse représentent autant de défis que le droit doit appréhender dans les années à venir» ajoute Olivier Hari. 

 Autre défi, la pandémie a obligé à repenser la manière d’enseigner dans bon nombre de formations, dont celle en droit. Un des nouveaux challenges liés à la formation en droit en Suisse est de trouver un juste équilibre entre des cours en présentiel et à distance pour permettre plus de flexibilité.

Sylvain Marchand met toutefois en garde: « La digitalisation comporte un risque: le passage à des cours en ligne de plus en plus anonymes ». Le professeur prône au contraire des enseignements plus personnalisés qui instaurent un dialogue entre les professeurs et les étudiants.

Il ajoute: « L’enseignement du droit ne procède pas de la mise à disposition d’informations, mais de la transmission d’une culture ».

Texte Léa Stocky

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